L'étiquette

 

RESPECTER L'ÉTIQUETTE

A l'étude, on remarque qu'elle est constituée d'une gestuelle extrême­ment précise, au même titre que la technique martiale proprement dite.

L'une comme l'autre ne sauraient être pratiquées sans une conscience totale des actes que l'on va accomplir (méfiez-vous des robots !). Cela exige une certaine préparation mentale que l'Étiquette apporte et aide à maintenir durant les leçons.

Quelques exemples :

Saluer en pénétrant dans le Dojo, c'est commencer à rompre avec le quotidien. Il serait difficile, voire dangereux, de passer de la vie de tous les jours, avec son lot de stress et de contrariétés, à une situation de combat, sans une rupture importante et nette.

L'ablution des pieds ‑ surtout lorsqu'on travaille sur tatami - au‑delà de l'hygiène élémentaire pour soi ou les autres, permet de réveiller une sensibilité engourdie par une journée de chaussures trop serrées. Un bon Shiseï (posture, attitude, tenue) passe peut-être par là.

Se vêtir consciencieusement, c'est la certitude de ne pas avoir à s'occuper d'une ceinture qui tombe, ou d'un Hakama sur lequel on marche lors d'un assaut. C'est aussi ne pas faire perdre de temps à un partenaire pendant qu'on se rhabille en cours d'exercice.

Se mettre en Keïkogi implique que les vestiaires gardent les vêtements civils. Fini les belles cravates ou les costumes coûteux, chacun doit être « vrai », le « paraître » n'existe plus.

Saluer le tatami ou l'espace d'exercice consomme la rupture avec le monde extérieur. Soucis et facilités restent derrière soi. Là, pas de téléphone désagréable, ni de secrétaire pour assumer.

Se mettre en Seiza et faire Zazen un instant donne le calme à l'esprit. La respiration s'apaise, le cœur aussi. Le corps repose sur le sol, équilibré et droit. Les tensions disparaissent peu à peu, les épaules se détendent et descendent à leur place. On devient de plus en plus réceptif.

Le salut au Maître, met en état d'élève, l'esprit s'assouplit (Junanshin).

Répondre à un salut pour la pratique met en état de partenaire. Lorsqu'on est détendu, on peut apprendre, étudier sérieusement, tout en prati­quant dans la bonne humeur et la cordialité.

Plier son Hakama correctement, respectant les plis, prépare la prochaine leçon, on pourra ainsi mieux se concentrer dès le vestiaire, sans avoir à en démêler les attaches.

On pourrait ajouter que l’Etiquette commence déjà à la maison ( nettoyage régulier de son Keikogi, Hakama, pliage et rangement correct dans le sac).

Comme on peut le constater, c'est une multitude de détails, dont beaucoup débordent de l'Étiquette strictement protocolaire, mais qui sont tous importants et portent mentalement l'individu à un état de pleine conscience vis-à-vis des personnes, des lieux qui l'entourent, et finalement de lui‑même. A ce sujet, il est important de noter que beaucoup de ces gestes poussent l'individu à s'occuper de lui‑même, en prenant tout le temps qu'il faut pour le faire, chose que l'on a souvent du mal à accomplir dans la vie moderne. C'est être d'abord à l'écoute de soi, pour être ensuite en mesure d'acquérir un état de disponibilité physique et mental maximum dont on pourra faire bénéficier les autres.

Avec le temps, apparaît un phénomène très important, cet état de conscience claire, ce bien-être se poursuit hors du Dojo, sur la route, à la maison, au travail. On s'aperçoit alors que l'Étiquette contient tous les ingrédients de base de ce que l'on peut « emmener à la maison ».

II y a en effet, et heureusement peu de chance que vous ayez l'occasion de vous servir d'un Katana, d'un Bokken ou d'un Jo dans votre vie quotidienne. Même l'Aïkido ne se pratique pas couramment dans les embouteillages ou au supermarché. Au contraire, la vigilance, la discrétion, la sobriété de tenue ou de comportement, le contrôle de soi, sont des enrichissements individuels que l'on pourrait qualifier de « sociaux ». C'est donc une fonction majeure de l'Étiquette que d'optimiser les capacités générales d'appréciation et de réaction de l'individu envers ses congénères.

LES BIENFAITS

Ces pratiques martiales, ces rituels de respect, ces codes d'honneur, ces règles d'étude, qu'elles soient étiquettes de Cour ou simples politesses, forment, après avoir traversé le temps, ce qui est résumé par le terme d'« Étiquette », traduction la plus proche du mot japonais Reï Shiki.

Son étude approfondie concomitante à l'étude des Budo représente de nombreux intérêts pratiques :

1- Une discipline commune : Elle permet à de nombreuses personnes issues de milieux différents de s'entraîner dans des lieux parfois exigus.

l'ordre qu'elle apporte diminue la possibilité de confusion dans le groupe et les distractions individuelles. Les préliminaires qu'elle impose permettent à des inconnus de s'exercer ensemble, quel que soit leur niveau, leur milieu social et d'établir une relation.

2- Une certaine idée du respect : il semble que ce mot n'ait qu'une valeur très relative aujourd'hui. II est d'ailleurs toujours conditionné à : du respect pour telle ou telle valeur, acte grandiose, réussite spectaculaire, etc..

Dans un Dojo, on apprend tout simplement que chaque individu est respectable, au moins autant que soi‑même. Que les nouveaux sont de futurs anciens, que les anciens ont été nouveaux. Qu'on ne peut s'enrichir de l'autre sans relation. Qu'une relation n'existe qu'avec l'échange. Enfin, que le respect, même s'il est imposé au départ, ouvre l'esprit de chacun à la relation aux autres.

Cependant à l'usage, l'Étiquette s'avère être par-dessus tout

3- Un travail de et sur l'esprit : les vrais trésors que recèle l'Étiquette se situent en réalité dans l'indispensable présence mentale qu'elle exige, ainsi que dans le travail d'observation et d'amélioration qu'elle permet d'accomplir en permanence sur soi-même, avec pour objectif le parfait contrôle de soi. II est bien entendu que, dans le cadre des Budo, l'Étiquette n'est pas et ne peut être une fin en soi, car l'objectif reste l'exercice martial complet, qui allie corps et esprit. Toutefois, l'Étiquette recèle de nombreuses composantes qui sont très utiles durant l'apprentissage. D'une manière globale, l'Étiquette des Budo, bien que spécifiquement adaptée à chaque pratique, a des constantes et des dénominateurs communs :

LA DISCRÉTION

Au Moyen Âge, ( et encore actuellement au Japon) une personne gesticulant, ou se faisant remarquer dans un groupe dérangeait. Elle était souvent la première que l'on provoquait en duel. Le manque de discrétion représentait dès lors un danger.

Aujourd'hui, une personne bruyante et tapageuse fait montre tout simplement d'un manque de contrôle de son affectivité, un besoin impérieux d'être remarquée ou reconnue.

L'Étiquette semble être une bonne clé pour apprendre la maîtrise de soi.

LA SOBRIÉTÉ

L'Étiquette réduit chaque geste à son minimum, afin d'aboutir à une efficacité dont la pureté devient esthétique. Cette économie de geste et d'énergie est plus facilement étudiée ensuite dans la pratique martiale proprement dite. Le coude qui dépasse, le frottement de pied ou la mimique inutile du visage polluent le mouvement. II faut élaguer encore et encore comme on le fait d'un bel arbre, ou polir de plus en plus finement comme on le fait d'un beau sabre

plus on s'approche d'un aspect de miroir, plus l'infime détail paraît grossier. C'est le prix de l'élégance : un travail foncier de concentration et de maîtrise de l'ego, de plus en plus subtil en direction de la perfection.

L'Étiquette trace peut-être une « voie » pour y parvenir.

LA VIGILANCE

II faut d'abord être vigilant quant à l'Étiquette elle‑même, ce qui n'est pas une mince affaire avant que cela ne devienne spontané. Ensuite doivent se développer les multiples qualités attachées au Zanshin citées précédemment, pour parvenir à une meilleure perception du monde qui nous entoure. II ne reste plus alors qu'à faire le lien avec le partenaire-adversaire, à trouver l'harmonie.

Même si pour la plupart d'entre nous, une vie est trop courte pour percevoir complètement cette notion de vigilance, l'Étiquette peut représenter un raccourci d'étude, fournissant des sensations préalables, sans la perturbation d'une attaque.

HUMILITÉ

Cette Humilité façonnée à partir de la notion de Wabi - la simplicité essentielle - et de celle de Makoto, la sincérité absolue, franchise totale et pure, celle qui engage l'autre par le don total de soi.

II s'agit en bref de la véritable humilité, de celle qui différencie le faux modeste du fanfaron, le servile de l'adjudant de quartier, le guerrier tapageur du pleurnicheur éternel insatisfait. L'Humilité dont Nietzsche disait qu'elle naissait en même temps que la vraie honnêteté, et qu'il ne fallait pas la confondre avec l'attitude servile pétrie de peur ou de vénalité.

Chacun a une place sur terre comme au Dojo, à chacun de la trouver, physiquement, socialement, mentalement, psychologiquement, etc... ement, afin de s'y épanouir pour le plus grand bénéfice des autres. Respecter les autres en se respectant soi‑même.

LE JUSTE MILIEU

La solitude, le temps, l'évolution, sans oublier une mesure de sueur et la souffrance positive de l'exercice, amènent à la réflexion (pour ces exemples, le mot flexion est mieux adapté). Ces caricatures nous enseignent que, quoi que nous fassions, quels que soient nos défauts, nous éprouvons un besoin naturel, inné, de nous appuyer sur une Étiquette ou un rituel (dans le sens d'actes quotidiennement répétés qui, en société, deviennent habitudes sociales, usages, puis coutumes). Que ce soit à l'école, à la maison, en famille, ou en solitaire, une portion de nous-même tend à s'y raccrocher

Ceux qui trouvent dans le cérémonial autre chose qu'un code clair et très simple à comprendre finissent souvent par le transformer en une véritable liturgie qui perd son aspect martial, tendant même à l'évincer. Le Budo pratiqué a alors tendance à être assimilé ou vu par des profanes comme une secte semi-religieuse. C'est un réel danger, car arrivent alors des personnes en mal de mysticisme qui ne font qu'amplifier le phénomène. La principale victime sera le Budo en question.

Un philosophe a dit « tout commence et finit par une cérémonie ».

Vie, mort, mariage, naissance, éducation, coucher, lever, travail, voyage, sexe : tout s'annonce, s'exprime, se déroule de manière précise souvent identique depuis la nuit des temps.

Dans le passé, même si c'était pour l'aider à conserver sa vie, les Jutsu entraînaient l'homme à agir principalement pour la mort de son adversaire. Aujourd'hui, ce qui est enseigné dans les Dojo a une vocation de Vie. L'objectif est d'élever l'individu, physiquement et mentalement. Affûter son sens moral en même temps que la maîtrise de son corps, construire un homme meilleur à travers des exercices, à l'aide d'outils qu'il avait inventés pour se détruire….

NATURE PROFONDE

Au demeurant, s'il est nécessaire d'assimiler certains gestes techniques, nous possédons tous plus ou moins une version naturelle de l'Étiquette. Nous avons conservé des fonctions qu'il nous faut réveiller de notre animalité (que certains nomment « cerveau archaïque »), puis apprendre à les contrôler avec notre humanité.

Avons‑nous appris à avoir faim ou sommeil ? À avoir peur ? À fuir ? À nous fâcher ?

Non, bien sûr. Ce sont des gestes de réaction, naturels, primaires et spontanés. Mais chacun les exprime en humain. Nous n'avons été éduqués que pour les contrôler (jusqu'à un certain point !).

II en est de même par exemple, pour notre violence : bien que la plupart des gestes de combat que montrent les disciplines martiales soient des répliques de gestes facilement assimilables à la violence, l'étude si elle est poursuivie suffisamment longtemps, développe des qualités de contrôle de soi qui nous permettent de domestiquer nos pulsions, à commencer par l’emploi  des règles d'Étiquette.

La vigilance, le regard et l'esprit offensif, le sens de la distance, l'intuition, etc., tout cela est caché quelque part, au tréfonds de notre conscience.

C'est pour plonger aussi profond qu'il nous faut apprendre à nous concentrer.